02 JUILLET 2014 | PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART
Rapporteur, l’an dernier, de la loi qui a ouvert le mariage aux couples de même sexe, le député PS Erwann Binet défend fermement les droits des enfants nés de la gestation pour autrui et d’un, voire deux, parents français: « Si, en dépit de la circulaire de Christiane Taubira, l’administration et la justice » ne reconnaissent toujours pas ces enfants, « le législateur devra prendre ses responsabilités ».
En condamnant la France dans deux arrêts rendus le 26 juin, la Cour européenne des droits de l’homme a relancé dans notre pays le débat autour de la gestation pour autrui (GPA). Les excès et les emportements qui environnent cette question ne sont propices ni à la clarté, ni à la sérénité. Les opposants au mariage pour tous l’ont bien illustré lorsqu’il s’agissait pour eux d’associer abusivement mariage homosexuel, GPA, aide médicale à la procréation (PMA), études sur le genre, ultralibéralisme et fin de la civilisation…
Deux dimensions antagonistes désorientent la question qui nous est posée. La question de la GPA est d’abord d’ordre éthique. Celle là est tranchée depuis longtemps dans notre pays. Si les Français restent très partagés lorsqu’ils sont interrogés par sondages, la majorité parlementaire actuelle a toujours exprimé fermement son refus de revenir sur l’interdiction de la GPA au nom de l’indisponibilité du corps humain.
Dans le même temps, la GPA nous pose un problème très concret : celui du sort des enfants nés par ce mode de conception et vivant sur notre sol. C’est précisément à cette interrogation que la CEDH a répondue. Cette condamnation n’a surpris aucun de ceux qui s’intéressent au sujet, tant la situation des enfants nés de GPA est intolérable en France.
A l’origine du projet de gestation pour autrui, il y a un couple. Il ne s’agit pour eux rien d’autre qu’un projet parental. Ce dessein n’est pas condamnable en soi. Même si la loi assume une inégalité en autorisant certains couples à recourir à la PMA et interdit à d’autres l’accès à la GPA, elle ne fait pas de ces derniers de mauvais parents. La stérilité d’un homme ou d’une femme ne rend pas son désir d’enfant illégitime ou abusif. L’infertilité d’un couple ne fait pas de sa volonté de construire une famille un caprice.
La loi interdit fortement la GPA en France, ce couple ira donc construire son projet à l’étranger et aura recours à un intermédiaire, dont les intentions seront plus ou moins éthiques. En deux clics sur internet, l’on peut trouver des dizaines de sociétés privées ou d’organisations à but non lucratif. Leurs sites affichent des centaines de donneuses d’ovocytes ukrainiennes sur catalogue, des photos de cliniques suréquipées ou de beaux bébés joufflus, des témoignages heureux, sans oublier les conditions juridiques, contractuelles et financières. Une société israélienne vous permet de calculer, suivant votre situation, le coût de ses prestations : 32 000 dollars au Népal, 41 000 en Inde, 46 000 en Thaïlande, 100 000 aux États-Unis. Tout est prévu, tout est compris.
Il y a ensuite une femme qui porte l’enfant. Elle va vivre durant 9 mois une grossesse qui n’est pas tout à fait la sienne. Elle donnera la vie à un enfant qui n’aura pas de lien génétique avec elle et qui lui sera étranger pour l’avenir. Elle assumera les risques médicaux et physiques de toute grossesse aux termes d’un contrat qui, avec son accord explicite, la dépossède un peu de son propre corps. Si la GPA ne se déroule pas dans un pays (Belgique, Royaume-Uni) où toute rémunération est proscrite, cette femme « gestatrice » percevra une « indemnité » de 6 000 dollars au Népal et en Inde, 10 000 dollars en Thaïlande, 30 000 dollars aux Etats-Unis.
Et il y a enfin l’enfant qui naît. Il est accueilli au sein d’un couple qui l’a profondément désiré, fils ou fille biologique de son père, voire de ses deux parents intentionnels. Il est le seul impliqué dans l’histoire à n’avoir consenti à rien. C’est pourtant sur lui que le droit français fait peser aujourd’hui le poids de la fraude. Avec son acte d’état civil étranger dans le berceau, l’enfant né par GPA ne peut se voir reconnu par la République.
Sur cet acte d’état civil étranger figure le lien de filiation avec le père et parfois même avec la mère intentionnelle. Cet acte étranger est reconnu par la France et la filiation n’est pas contestée. Mais cet acte ne sera pas retranscrit en France car il a été délivré à la suite d’un contournement de la loi. Fraus omnia Corrumpit dit l’adage : la fraude corrompt tout. L’enfant ne peut obtenir en France la reconnaissance de son existence.
En pratique, cela veut dire qu’il n’obtient pas d’état civil français, que ses parents ne peuvent le voir figurer comme leur enfant sur leurs propres actes d’état civil, que la nationalité française lui est refusée, que sa présence sur notre territoire peut à tout moment être questionnée, que ses droits de citoyens lui seront refusés. Et ce, alors que la filiation avec au moins un parent français n’est pas contestée…
Pire, dans un arrêt de septembre 2013, la cour de Cassation annule l’acte de reconnaissance effectué par un père pour son enfant biologique ! Pour ce faire, elle écarte la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’il résulte de la Convention internationale des droits de l’enfant et l’application de la Convention européenne des droits de l’homme. La fraude place l’enfant dans une zone de non droit. En raison de sa naissance, il est exclu de la protection de nos droits fondamentaux.
Il y a deux manières d’envisager la question du recours à la GPA par des couples de Français. Celle de considérer d’abord la fraude et d’imposer avec toute sa force la nullité de tout contrat relatif à une GPA, quitte à en faire payer le prix à l’enfant. Je préfère pour ma part considérer d’abord l’intérêt de l’enfant. En dépit de mon hostilité au recours à la GPA, j’assume pleinement l’idée que l’on ne peut sanctionner un enfant en lui refusant le bénéfice de ses droits fondamentaux, du seul fait de sa naissance. On ne peut laisser la fraude écraser l’intérêt de l’enfant, pour sa vie durant.
Valentina et Fiorella, qui ont fait l’objet de l’un des deux arrêts de la CEDH, sont aujourd’hui âgées de 14 ans. Il y a urgence pour la République de reconnaître leur existence et les droits qui en découlent. Si, en dépit de la circulaire de Christiane Taubira, l’administration et la justice n’y consentent toujours pas, le législateur devra prendre ses responsabilités.
]]>