Je veux partager avec vous le contenu des débats qui nous ont occupé dans l’hémicycle dans la nuit du 19 au 20 juillet en vue du prolongement de l’état d’urgence pour lequel nous avons voté au petit matin. Ils sont en effet éclairants sur la différence radicale d’approche que nous avons avec l’opposition de droite, dans la lutte contre le terrorisme. Ils ont d’ailleurs suscité des échanges extrêmement vifs entre députés LR et socialistes, y compris en commission des lois. Mais replaçons nous quelques jours plus tôt, après l’attentat de Nice. Alors que nous ne connaissons pas encore les circonstances ni l’auteur de l’attentat, Alain Juppé se précipite et déclare « si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu ». L’expression a été mainte fois reprise depuis, y compris par Nicolas Sarkozy. Mais qu’y a-t-il derrière ce « tous » ? Quelles mesures la droite propose-t-elle qui aurait « évité ce drame » ? Derrière le caractère avantageusement approximatif de l’expression, se cache une perspective effrayante. Cet après-midi lors de la lecture définitive du projet de loi, Eric Ciotti en appelle à un « changement de cadre ». Hier Laurent Wauquiez se fait applaudir à tout rompre sur les bancs de la droite en fustigeant le respect de la constitution, de la convention européenne des droits de l’homme et répète « changez le droit ». De nombreux autres collègues LR et UDI les suivent sur ce terrain. Quel est donc ce nouveau cadre ? Nous pouvons en avoir une idée précise à travers les amendements déposés par « Les Républicains » et les propositions qu’ils formulent. Parmi les plus emblématiques figure la rétention administrative des « suspects » (terme employé par L Wauquiez), notamment ceux fichés « s » par les services de sécurité. Autrement dit la possibilité donnée à l’État d’enfermer toute personne, sans intervention du juge, sans limitation de durée. Cette perspective rappelle les moments les plus sombres de notre Histoire. Les autres propositions de la droite tirent leur inspiration de la même veine, celle d’un État autoritaire, d’une République des suspects. Il en va ainsi de la possibilité de refuser l’entrée du territoire à un français, d’autoriser les contrôles d’identité par les polices municipales, de rétablir la double peine pour les étrangers même pour les plus petits délits… La liste est loin d’être exhaustive. La plupart de ces propositions transgressent la déclaration des droits de l’homme, nos principes constitutionnels et nos engagements internationaux. Ils n’ont donc aucune perspective d’aboutir dans un État de droit qui respecte encore les décisions du Conseil constitutionnel et celles de ses juges. Mais pour combien de temps encore ces barrières tiendront-elles quand des voix aspirant à exercer la responsabilité de conduire la Nation, en appellent à un « changement de cadre ». Combien de temps cela peut encore tenir lorsque cette surenchère sécuritaire conduit certains dans l’hémicycle à vouloir violer des valeurs républicaines que l’on pensait inscrite dans le marbre pour toujours. Ces mesures qui dessinent une autre République et un nouveau régime ne seraient pas même d’une quelconque utilité. Aucune d’elles n’aurait pu éviter l’attentat de Nice. Si malgré ces dispositions anticonstitutionnelles survenait un autre attentat, quelle serait alors l’étape d’après ? En répond renonçant à nos principes républicains, la droite nous embarquerait dans une spirale infernale dont nous ne maitriserions plus la fin. Une spirale que l’on perçoit également quand il s’agit pour ses représentants d’exiger perpétuellement la preuve de leur intégration de français issus de l’immigration (comprenez de musulmans) qui à leur tour s’enferment dans le ressentiment et le repli. Spirale mortelle. L’État islamique s’attaque à la France parce que nous avons légué au monde des valeurs universelles, parce que notre peuple ne se définit pas par ses gènes mais par l’adhésion à des valeurs communes, parce que le principe de Laïcité nous invite à nous incliner devant la loi des hommes plutôt que la loi de Dieu, à nous émanciper plutôt qu’à nous soumettre. Nous devons nous défendre, cela implique des mesures exceptionnelles et une démultiplication de nos moyens de sécurité. C’est le sens de la loi relatif à l’état d’urgence. Mais l’état d’urgence c’est la défense de l’État de droit. Ce n’est pas l’installation d’un État d’exception. Renoncer à une once de nos valeurs, lâcher un brin de nos principes c’est signer la victoire de Daech.]]>