[caption id="attachment_3035" align="alignleft" width="273"] un dessin d’enfant sur les murs du camp de Elliniko[/caption]
J’ai participé la semaine dernière au déplacement en Grèce des membres de la mission parlementaire évaluant les mécanismes européens mis en place pour faire face aux flux de réfugiés. Je vous livre ce que j’ai vu, en précisant que mes propos n’engagent pas les conclusions du rapport de la mission qui sera publié en juillet. Son travail n’est pas encore achevé.
[caption id="attachment_3054" align="alignright" width="300"] Prokopis PAVLOPOULOS, Président de la République Hellénique reçoit la délégation parlementaire[/caption]
Au cours de ce déplacement, nous avons rencontré les autorités helléniques, dont notamment le ministre des affaires maritimes M. Thodoris DRITSAS ainsi que M. Prokopis PAVLOPOULOS, Président de la République.
Nous avons surtout visité cinq camps de réfugiés. Deux à Athènes, sommairement installés depuis deux mois sur des sites abandonnés des jeux olympiques de 2004. Trois dans la région de Thessalonique, dont le fameux camp d’Idoméni, à la frontière macédonienne, où 10000 réfugiés vivent dans des conditions inacceptables, soutenus par 450 humanitaires.
Depuis l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie le 20 mars dernier, le flux des migrants s’échouant sur la côte Grecque s’est brutalement tarie. Une centaine de migrants approchent les îles chaque jour quand ils étaient des milliers il y a encore quelques semaines, jusqu’à 10000 quotidiennement en octobre dernier… Les réfugiés arrivés sur les îles postérieurement à l’accord, principalement à Chios et à Lesbos sont placés en rétention dans l’attente d’une réponse à leur demande d’asile. La procédure d’asile va être longue, j’y reviendrai. Ces migrants privés de leur liberté vont rester longtemps dans ces centres de rétention insulaires. En Grèce la rétention administrative peut durer 18 mois, contre 45 jours en France (ce qui est déjà énorme).
Dans le même temps et sur le continent cette fois, la frontière du nord avec la Macédoine est fermée depuis début mars.
Avant le 20 mars, les migrants étaient en transit sur le territoire Grec; un passage avant de poursuivre leur exode sur les routes des Balkans. Ces réfugiés sont désormais bloqués sur les îles comme sur le continent dans des camps plus ou moins organisés. Ils seraient 53000 selon le HCR. La logistique peine à suivre même si nous constatons un engagement fort des autorités helléniques. Nous avons entendu de toute part un message d’empathie et une volonté de soutenir ces réfugiés. Le responsable HCR du camp d’Idomeni, nous dit que dans sa longue carrière d’humanitaire, c’est la première fois qu’il rencontre une population riveraine si bienveillante.
[caption id="attachment_3039" align="alignright" width="300"] Dans les locaux de l’OFPRA à Athènes avec Pascal Brice, directeur général[/caption]
Pendant ce temps la France organise sur place les contacts pour relocaliser des familles syriennes, érythréennes ou irakiennes dans le cadre du programme de « relocalisation ». 242 ont déjà rejoint la France et d’autres les suivront dans les mois à venir à un rythme qui dépend aussi d’une administration grecque saturée. Les agents de l’Ofpra effectuent des missions à Athènes dans ce but. Ils organisent des entretiens préalables à la constitution d’une demande d’asile. La France a « ouvert » 400 places en avril et l’OFPRA organise des entretiens avec les familles concernées par missions régulières de deux semaines.
Mardi dernier 60 réfugiés ont ainsi quitté Athènes pour Paris dans le cadre du programme qui permet leur répartition (« relocalisation ») dans les différents pays de l’Union Européenne. Le lendemain c’était 60 autres Syriens, Irakiens ou Érythréens achevant en France leur douloureux exode. Il n’y aura pas de média à leur arrivée, ce ne sera pas l’avion d’un pape ou d’un Président de la République… La France prend sa part, avec un engagement remarquable de l’ambassade, des services de l’OFFI et de l’OFPRA sur place. Mais rien n’est simple et nous l’avons découvert en visitant les camps du nord du pays.
[caption id="attachment_3043" align="alignleft" width="265"] Le Camp « informel » d’Idomeni, de loin le plus inquiétant.[/caption]
Prenons les chiffres tels qu’ils sont à ce jour en Grèce. 53000 migrants sont actuellement en Grèce toutes nationalités confondues. 3018 demandes d’asile et de relocalisation ont été traitées par l’administration hellénique. A ce jour 2306 ont été proposés formellement à des États dont 1470 Syriens, des enfants (35% de moins de 13 ans !!), des familles, de nombreux handicapés et d’autres particulièrement vulnérables… Au total 581 étrangers ont été effectivement « relocalisés » dans les pays de l’Union ayant proposé des places. De ce point de vue la France est la plus volontaire avec 242 migrants installés en France auxquels s’ajoutent les 120 arrivés cette semaine.
Ces chiffres sont dérisoires au regard de l’enjeu migratoire auquel nous faisons face. Ils sont aussi choquants face à la réalité de ce que nous avons découvert dans les camps. Les populations ayant fuit leur patrie ne perçoivent aujourd’hui sur place aucune perspective d’avenir. Ils répondent pourtant à tous les critères du statut de réfugié! Les 581 relocalisations effectives au 10 avril sont très éloignées des 6000 attendues à cette date.
La première raison est le nombre de places offertes par les États-membres. L’Allemagne a proposé 40 places depuis novembre 2015, mais a certes accueilli des centaines de milliers de réfugiés sur son sol. La Belgique a proposé 100 places jusqu’à présent, l’Irlande 40, la Pologne 65 (mais n’a accepté aucun transfert de réfugiés pour le moment), la République Tchèque 20, 150 pour l’Espagne et les Pays-Bas. La France est la plus volontariste et de loin, avec près de 1000 places proposées depuis janvier. Les 400 rien que pour le mois d’avril sont en cours d’engagement. Chaque famille est entendue par l’OFPRA et la DGSI (pour un contrôle de police) avant de prendre l’avion pour Paris où leur demande d’asile sera formellement instruite, si les deux services donnent leur feu vert. Cette procédure est rapide et s’effectue directement à Athènes.
[caption id="attachment_3046" align="alignright" width="225"] Dans un camp de réfugiés, la borne « skype » accessible une heure dans la journée, et pourtant indispensable pour déposer sa demande d’asile.[/caption]
La deuxième entrave à cette relocalisation est propre à l’État Grec. Chaque réfugié doit déposer une demande d’asile en Grèce avant de demander sa relocalisation dans un autre pays de l’Union. Or, l’administration hellénique est dans l’incapacité d’absorber le nombre des demandes d’asile, surtout depuis la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie qui l’a fait exploser. Les réfugiés avec qui nous avons échangé nous ont expliqué qu’ils devaient se connecter par Skype pour obtenir un rendez-vous, plusieurs semaines plus tard. Le service de Skype est saturé, souvent injoignable. Dans l’un des camps que nous avons visité accueillant plus de 1000 Syriens, la borne Skype était disponible (mais pas forcément accessible) entre 16h et 17h…. Les services grecs de l’asile ne comptent que 200 agents. À Athènes même ils ne peuvent pas traiter plus de 60 dossiers quotidiennement, nous a-t-on précisé… Ce problème est aiguë et la Grèce, dans l’impossibilité de renforcer son administration pour des raisons budgétaires, devra accepter le soutien des pays de l’Union dans l’enregistrement même des demandes d’asile si elle ne veut pas laisser errer dans les camps des milliers de réfugiés qui n’entrevoient aucune issue à leur situation.
[caption id="attachment_3044" align="alignleft" width="300"] un camp de réfugiés organisé par l’armée au nord du pays, sur une ancienne base aérienne[/caption]
Nous avons visité deux camps organisés par l’armée au nord du Pays, 4000 migrants dans l’un, 2000 dans l’autre, avec de très nombreux enfants, parfois « mineurs isolés ». Nous avons pu constater une implication forte des autorités grecques, appuyées par la croix rouge et le HCR. Les conditions d’hébergement (dans des tentes ou des bungalow) sont sommaires mais organisées. Il faisait près de 40° dans le camps de 4000 migrants installés sur une base aérienne désaffectée, pas un seul arbre, pas une seule ombre. La situation ne pourra pas perdurer ainsi indéfiniment.
Ambiance toute autre sur le camp « informel » d’Idoméni à la frontière macédonienne dans lequel 10000 migrants vivent dans les conditions déplorables. La situation n’est pas sans rappeler la jungle de Calais. Une jungle parce que les migrants sont livrés à eux mêmes, aux passeurs, aux trafics, aux rumeurs aussi, avec un soutien des humanitaires sur place (200 professionnels et 250 bénévoles, qui quittent le camp durant la nuit, pour leur sécurité). Sur la voie ferrée, les trains ne circulent plus. Les autorités tentent de convaincre les migrants de partir vers les centres d’accueil organisés. Mais il est difficile de convaincre une population qui n’entrevoit aujourd’hui un espoir que dans l’ouverture éventuelle de la frontière, espoir largement alimenté par le commerce des passeurs. Lorsqu’un migrant parvient à passer en Macédoine à travers la barrière de barbelés, il est renvoyé par la police macédonienne quelques jours après, avec nous dit-on, les stigmates d’une extrême violence policière. Violence volontaire semble-t-il pour dissuader de nouvelles tentatives de traversée. Nous sommes en Europe, en 2016… effrayant.
[caption id="attachment_3042" align="alignright" width="300"] le camp d’Idoméni, à la frontière macédonienne[/caption]
Nous avons visité également les trois centres d’accueil d’Elliniko à Athènes qui hébergent chacun entre 1100 et 1700 migrants, essentiellement Afghans. Les installations olympiques abandonnées sont sommairement aménagées. Ici comme dans le nord du pays, la Grèce doit maintenant envisager cette installation dans la durée. Curieuse image que celle de milliers de migrants dans le plus grand dénuement, ayant tout abandonné pour accéder à un confort qui a permis ici de construire d’immenses stades… pour quelques jours d’utilisation.
La mission continuera ses auditions et ses visites de terrain dans les mois qui viennent. Un déplacement en Turquie est d’ores et déjà envisagé.
[caption id="attachment_3038" align="alignnone" width="300"] l’ancien stade olympique de Baseball à Athènes – Elliniko[/caption]
[caption id="attachment_3031" align="alignnone" width="300"] rencontre avec les humanitaires présents sur le camps d’Idoméni[/caption]