La nationalité est le lien qui nous unit au sein d’une communauté à laquelle nous appartenons et dont nous partageons la langue, la culture, les grands principes… C’est aussi le signe que nos racines individuelles s’entremêlent avec les racines d’une Nation, de son histoire, de ses grandes valeur
- En tournant les armes contre la France, les terroristes ont perdu leur qualité de français.
Dans certains cas très graves, il ne me choque pas qu’il soit possible pour une communauté nationale de rompre les liens qui la rattache à un de ses membres. Les terroristes qui ont attaqué notre liberté de penser en frappant Charlie hebdo le 7 janvier se sont retournés contre la France. Ceux qui ont tué 130 personnes qui se retrouvaient ensemble le13 novembre pour assister à un concert ou partager un verre sur une terrasse parisienne ont tourné les armes contre les Français et finalement contre la nationalité dont certains d’entre eux bénéficiait. Lorsque l’on retourne les armes contre son pays ou contre ses compatriotes pour la seule raison de leur nationalité, on ne peut plus porter cette même nationalité et bénéficier des droits qui en découlent. La rupture du lien d’appartenance à la communauté nationale est alors consommée. La plupart de ces terroristes manifeste d’ailleurs cette rupture en brûlant leur passeport, en reniant leur appartenance à la France, et en vomissant tout ce qu’elle peut représenter pour eux
- La déchéance de la Nationalité pour les binationaux existe déjà, sans référence constitutionnelle…
C’est pour sanctionner ces comportements-là que la déchéance de nationalité existe d’ores et déjà dans notre Code civil. L’article 25 prévoit la déchéance pour l’individu naturalisé condamné pour des crimes ou délits constituant un acte de terrorisme, une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou bien s’il s’est livré au profit d’un État étranger
« à des actes incompatibles avec la qualité de français et préjudiciable aux intérêts de la France ». Mais la déchéance n’est alors possible que si les faits reprochés se sont produits avant l’acquisition de la nationalité ou dans les dix ans qui suivent (15 ans en cas de terrorisme). Depuis 2012 six personnes ont été déchus de la nationalité française.
La déchéance de Nationalité est une « tradition » juridique présente dans la plupart des pays du monde en raison de leur indignité ou du défaut de loyalisme. En France un décret de 1848 permettait déjà de retirer la nationalité à tous les français se livrant au commerce d’esclaves. Les bases du dispositif actuel ont été posées par une loi de 1973 reprises par la loi du 26 novembre 2003.
Ce que le Président de la République souhaite c’est étendre le champ de la déchéance de nationalité non plus aux naturalisés depuis moins de 10 ans (ou 15 ans) mais également aux natifs. Les paroles du Président de la République prononcées devant les parlementaires réunis en Congrès le 16 novembre dernier sont claires :
« Cette révision de la Constitution doit s’accompagner d’autres mesures. Il en va de la déchéance de nationalité. La déchéance de nationalité ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride, mais nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux dela Nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, je dis bien « même s’il est né français » dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité. »
François Hollande indique qu’il s’agit là d’une mesure qui « accompagne » la révision constitutionnelle relative à l’état d’urgence. Il ne prévoit pas le moins du monde de l’y inscrire alors.
En réalité, la loi prévoit déjà la perte de nationalité pour les natifs. L’article 23-8 du code civil permet au Gouvernement de décider de la perte de nationalité d’un concitoyen qui refuserait de quitter le service d’un État étranger, qu’il soit naturalisé ou non. L’aticle 23-7 du code civil dispose quant à lui que
« Le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’État, avoir perdu la qualité de Français ». Là encore, cette disposition s’applique pour les naturalisés comme pour les natifs. Un Franco-Guinéen, qui écrivait des articles extrêmement violents contre la France a perdu sa nationalité française en 1960 au titre de cet article 23-7. De même en 1970 pour un Franco-Allemand qui résidait en Allemagne depuis la Libération et
« manifestait ouvertement son hostilité à l’égard de la France ».
On pourra objecter que les terroristes de Daesh ne se comportent pas « comme le national d’un pays étranger ». Mais modifier la loi sur ce point ne semble pas hors de portée, et nous pourrions ainsi répondre à la proposition du Président de la république, partagée par beaucoup, sans qu’il soit même nécessaire de changer la Constitution…
- … on ne peut retirer sa nationalité à un individu qui n’en disposerait pas d’une autre.
Quelle que soit les arguties juridiques sur le sujet, il est un fait établi solidement auquel on ne peut déroger ; on ne peut pas rendre un individu apatride. Le Président de la République l’a d’ailleurs évoqué dans son intervention, comme une évidence.
Depuis plus de soixante ans, la France s’est engagée, en ratifiant la convention de New-York aux côtés d’autres États, à ne pas retirer la nationalité à un individu que cette décision pourrait rendre apatride. C’est la raison pour laquelle la déchéance de nationalité ne peut s’appliquer qu’au français disposant d’une autre nationalité.
La France protège les apatrides ; elle attribue la nationalité française aux enfants nés de parents inconnus ou apatrides, elle ne permet à un français de répudier sa nationalité qu’à la condition d’en disposer d’une autre ; elle ne retirerait pas davantage la nationalité aux habitants d’un territoire de la République ayant pris son indépendance avant de s’assurer qu’ils bénéficient d’une nouvelle nationalité. Il est baroque à l’occasion de cette réforme constitutionnelle que l’on ait imaginé pouvoir retirer leur nationalité à ceux que certains appellent désormais les « mononationaux ». Cette idée s’arrête au pied du mur de nos principes constitutionnels, de nos engagements internationaux et de notre tradition juridique. La perte ou la déchéance de nationalité ne peut concerner que les binationaux.
- La déchéance dans la Constitution ; ce que ce symbole dit de nous.
Dans son avis sur le Projet de loi constitutionnel, le Conseil d’État invite timidement le Gouvernement à opérer une révision constitutionnelle. Elle est indiscutablement nécessaire pour encadrer l’état d’urgence. Son utilité pour la déchéance de la nationalité est plus contestable. Elle me paraît également dangereuse sur le plan symbolique.
La déchéance de la nationalité pour les binationaux qui existe donc dans notre droit changerait de statut par son inscription dans la Constitution. Il revêtirait une force symbolique autant de juridique.
Tout le monde s’accorde, derrière le Premier Ministre, à dire que cette mesure ne dissuadera aucun djihadiste déterminé à semer la terreur. Qu’elle sera très rarement appliquée. Que l’on ne pourra en retirer aucun bénéfice opérationnel dans notre lutte contre le terrorisme. Aurons-nous même la possibilité d’expulser les déchus ? Rien n’est moins sûr car il conviendra qu’ils purgent leur peine en France et il n’est pas certain que le pays dont ils tirent leur autre nationalité accepte de les accueillir.
Ce projet est donc un symbole. Notre Constitution, texte suprême dans notre organisation juridique, abrite les grandes valeurs, regorge de principes et de symboles destinés à dessiner une Nation. Comme tous les symboles, celui-là parle au cœur autant qu’à la raison.
Quel message porterait l’inscription dans la Constitution de la Vème République la possibilité de déchoir un binational de sa nationalité française ?
Aux concernés, il placerait au dessus de leur tête un risque particulier. Certes ce risque reste hypothétique et improbable puisque la vocation de terroriste reste heureusement marginale. Certes les binationaux ne seraient pas moins français que les autres. Mais tout en partageant les mêmes droits et devoirs, des français disposeraient d’une nationalité solide, intangible, pendant que celle des binationaux serait plus fragile, plus vulnérable car contestable.
Le symbole est fort. Il donne raison aux jeunes que j’entends parfois qualifier de « français » ceux qui vivent en dehors de leur quartier et aux racistes qui distinguent les « français de souche » et les « français de papier ». Détestable.
A travers ce symbole, quel regard portons nous sur la France ? Celui d’un pays qui ne peut en aucun cas engendrer des terroristes. C’est faux, on connaît le parcours de ces tueurs fous et de ces kamikazes. Certains sont des enfants de la République. Nous serions bien avisés d’en prendre conscience. Non pour excuser, mais pour comprendre et éviter simplement que cela se reproduise. On ne peut pas porter à la fois la nationalité française et l’uniforme des terroristes. Mais des français sont devenus terroristes. C’est la triste vérité qu’il ne faut pas rejeter dans un réflexe de fier-à-bras. La déchéance de nationalité dans la Constitution est un symbole qui n’invite pas à l’introspection. Regrettable.
- Et maintenant que devons-nous faire ?
La difficulté est donc symbolique et juridique. D’un point de vue symbolique, les binationaux ne peuvent être considérés différemment que les autres concitoyens. A minima la rédaction actuelle du projet de loi constitutionnelle devra être réécrite pour ne pas instituer deux catégories de français. Mais disant cela, nous nous retrouvons dans l’impossibilité de retirer leur nationalités à ceux d’entre nous, qui ne disposent pas d’une autre nationalité…
Il convient donc de trouver deux régimes juridiques ayant le même objectif : formaliser pour les terroristes la rupture du lien d’appartenance à la communauté nationale.
La solution consiste sans doute à restaurer dans notre droit la dégradation nationale. Un français pourrait ainsi se voir retirer les attributs de la nationalité, principalement ses droits civiques. Je suggère que nous approfondissions cette possibilité. La dégradation nationale a traversé notre histoire sous des formes différentes. Les peines infamantes étaient légions sous l’ancien régime comme le blâme, l’exposition publique, le bannissement, ou l’amende honorable. L’après guerre a été une période durant laquelle le crime d’indignité nationale a frappé de manière rétroactive les anciens collaborateurs ou les antisémites notoires.
Aujourd’hui, si une telle solution, écartée au départ par le Gouvernement, venait finalement donner un peu d’équilibre dans un texte qui en a bien besoin, nous pourrons sans-doute construire une majorité autour de cet projet de loi constitutionnelle.
Le texte constitutionnel ne sera acceptable que s’il permet de formaliser la rupture du lien de tout français à la communauté nationale, lorsque celui-ci aura retourné les armes contre elle-même, que ce français soit binational ou non, que la rupture de ce lien soit une déchéance nationale ou une dégradation nationale.
Viendra ensuite au Parlement la discussion de la loi organique qui devra mettre ce nouveau principe en application. Ce sera, me semble-t-il le moment le plus intéressant et le plus important pou nourrir le débat qui nous anime et pour lever les doutes qui nous traversent.
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