La période estivale est la saison du repos au soleil et des feuilletons. Les journaux et les télés en regorgent chaque été. Le journal le Monde conjugue en plusieurs épisodes la « vie d’après » des présidents de la République , les « couples d’artistes ou les « jardins des dictateurs », l’Obs analyse « la drague dans le monde » en sept épisodes. Les télés quant à elles déclinent les fameuses « sagas de l’été » qui ont commencé à fleurir sur nos écrans dans les années 90. Mais parmi tous ces feuilletons le plus passionnant fut sans contexte l’affaire Alexandre Bénalla. Ses ressorts nous ont occupé tout au long du mois de juillet et l’on nous promet de nouveaux épisodes. On pourrait regarder cette affaire de haut, la considérer comme dérisoire et inutile. On aurait tort. L’affaire Bénalla est salutaire en ce qu’elle incarne sur le fonds comme sur la forme, une possibilité de limite au Pouvoir. Elle est instructive, en ce qu’elle a révélé la présence de guignols à l’Élysée (au moins celui-là). Enfin, elle nous interroge sur le fonctionnement de nos institutions, questionnement plus qu’utile quand le Gouvernement propose de les réformer en profondeur.

Une possibilité de limite au Pouvoir

La force du Pouvoir est légitime et sans-doute nécessaire dans toute société humaine. Les mécanismes pour en limiter l’expression le sont tout autant pour garantir le respect de la Démocratie et de l’État de droit. De ce point de vue, l’affaire Bénalla est un cadeau. Sur la forme elle a conduit les journalistes sur les chemins de l’investigation et de l’irrévérence, trop heureux de s’engouffrer hors les sentiers de la communication ultra maitrisée du nouveau monde. Les journalistes se sont immiscés là où on les tenait à distance. Sur le fond de l’affaire, il est salutaire qu’il a pu être mis fin aux manquements d’un chargé de mission élyséen ayant pour passe-temps de jouer les Rambos, utilisant sa proximité avec le Président pour s’affranchir de toutes les règles. Le Pouvoir, fut-il celui du premier d’entre nous s’est confronté à des limites salutaires. Un guignol à l’Élysée C’est peut-être pour moi le plus insensé dans l’histoire. Alexandre Bénalla est un jeune de 25 ans travaillant depuis plusieurs années pour la sécurité de personnalités politiques. Il a fait partie des équipes chargées d’accompagner les dirigeants du PS, sans jamais prendre du galon lors du dernier mandat. On dit qu’il a été viré pour incompétence par Arnaud Montebourg, qu’il était connu pour son impétuosité et ses écarts de conduite. Le voilà au parti LREM durant la campagne présidentielle, puis à l’Elysée. On a reproché aux policiers et autres préfets d’avoir obéis à M. Bénalla, je ne partage pas ce reproche. Il était membre du premier cercle Présidentiel et il n’est pas anormal, bien au contraire, que sa parole soit considérée comme une parole « de l’Elysée ». Sur un tout autre plan, j’ai eu l’occasion de travailler avec des conseillers de l’Élysée lors du dernier mandat. Leurs avis, leurs remarques avaient la force de celle du chef de l’État, quand bien même ils n’étaient pas exprimés par François Hollande lui-même. Il en est ainsi du fonctionnement de nos institutions. Ce qui est anormal en l’espèce, c’est que Bénalla ait été incapable de prendre conscience de cela pour adopter la distance et la clairvoyance nécessaire à son métier (et à la protection du Chef de l’État). Il convenait qu’un homme chargé de la protection rapprochée du Président dispose de cette clairvoyance, de cette intelligence dans l’action, compétence essentielle à ce niveau. Ce qui est surtout prodigieux, c’est la présence de telles fragilités a ce niveau de responsabilité. On a pu découvrir que le conseiller disposait de l’habilitation secret défense, d’un accès à l’hémicycle de l’Assemblée (dont même les assistants des parlementaires ainsi qu’un grand nombre de fonctionnaires de l’Assemblée sont exclus). On découvrira plus tard qu’il détient des armes illégalement et qu’il s’affiche aux côtés de Trump et du Président sur des photos publiées sur un site de rencontres, prenant pour pseudonyme « Mars », la planète la plus proche du Jupiter… Bénalla n’est sans doute pas un danger pour la Nation, mais nous avons pu découvrir à travers cette affaire que l’on pouvait être un guignol et travailler au plus près du Président de la République.

Le fonctionnement de nos institutions

Ce feuilleton est l’occasion de nous interroger sur le fonctionnement de nos institutions et sur l’équilibre des pouvoirs qu’elles sont censées assurer. Le Parlement s’est saisi de l’enquête mais en en confiant la maitrise à la majorité LREM… Ses conclusions, non encore publiées à l’heure où j’écris ces lignes, sont déjà frappées de collusion. Il aurait été plus habile de confier l’enquête parlementaire à l’opposition. Le Gouvernement souhaite modifier lourdement la Constitution et réduire le nombre de députés. Elle entrainerait la 5ème république vers son versant présidentiel, tout en affaiblissant les pouvoirs du parlement. Si une leçon politique peut-être tirée de l’Affaire Bénalla, elle est bien de revoir l’équilibre des pouvoirs en France en renforçant ceux du Parlement. Les uns et les autres ont pu débattre jusqu’à saturation pour savoir si ce feuilleton était une affaire de l’État ou une affaire d’État. Comme si elle n’était pas assez grave en elle-même et qu’il fallait décoder si elle entrait dans le Panthéon des heures sombres de la politique. Je n’ai jamais bien compris l’enjeu de ces discussions. François Hollande a été confronté deux fois à des affaires similaires dans son mandat. Aquilino Morelle avait fait venir un cireur de chaussures dans un bâtiment de la Présidence en sus d’être soupçonné de conflit d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique (accusation dont il a été blanchi par la suite). Faouzi Lamdaoui était suspecté d’abus de biens sociaux. Dans ces deux cas, le Président d’alors avait mis moins de 24h pour les écarter définitivement. Dans l’affaire Bénélla, le licenciement n’est pas été consécutif de la connaissance des faits par l’éxécutif. Il a décidé sous la pression des révélations de la presse et de l’opinion publique. La méthode est très différente et il est légitime de s’est offusquer. Les enquêtes parlementaires et judiciaires, les investigations de la presse se poursuivent et répondront aux questions que nous nous posons. Cette saga est un moment pénible pour la République et les amoureux de la chose publique. Elle est pourtant salutaire et utile. Espérons seulement que la rancœur et la déception des français, de plus en plus tangibles, seront l’occasion d’un sursaut républicain et non pas une plongée, toujours menaçante, vers les abîmes populistes.

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