La proposition de loi « sécurité globale » (sic) était la semaine dernière en discussion à l’Assemblée Nationale. Son article 24 fait beaucoup parler, fort justement, car il est le signe d’une dérive autoritaire du Gouvernement et d’un délabrement à bas bruit de la Démocratie. A entendre ses défenseurs, ces craintes seraient infondées, exagérées, politicardes. Je vous laisse juge.

En préambule et pour installer le décor, il faut préciser que ce texte est officiellement une initiative des députés LREM. Mais personne n’est dupe, il s’agit d’un texte en grande partie rédigée par le ministère de l’intérieur et livré aux députés qui ont accepté de bien vouloir le déposer sous leur nom. C’est une pratique courante. Tout cela est bien commode pour le Gouvernement parce qu’une telle procédure lui évite un certain nombre d’obligations formelles comme par exemple la nécessité de présenter aux parlementaires une étude d’impact, de demander son avis au Conseil d’État mais aussi de solliciter, comme c’est l’usage sur de tels textes, l’avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme ou la Défenseure des Droits… Qu’il ne soit pas officiellement à l’initiative n’a pas empêché le Gouvernement de déclarer l’urgence sur la proposition de loi et de réduire du même coup le débat parlementaire au strict minimum. La « sécurité globale » c’est donc d’entrée de jeux l’opacité maximale.

« opacité maximale » c’est d’ailleurs un nom qui lui convient mieux, au regard de son article le plus décrié, l’article 24.

Cet article modifie la fameuse loi sur la presse de 1881 en disposant que  » Sans préjudice du droit d’informer, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale, lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police. » (texte issus de la commission des lois).

Ce texte est inutile et dangereux.

Inutile parce que la loi répond déjà aux craintes exprimées par les forces de l’ordre, craintes dont je veux dire qu’elle sont mille fois légitimes. Le code pénal protège les policiers et les gendarmes, comme tous les autres citoyens pour les atteintes à leur vie privée.  Ils sont également protégés au titre de la loi sur la presse et du code pénal contre la diffamation, les menaces, les outrages, les injures et la provocation à la réalisation d’un crime ou d’un délit. Les policiers et les gendarmes peuvent dans certaines situations bénéficier de la garantie de leur anonymat. C’est le principe pour les sections particulières comme le GIGN ou le RAID. Dans ce cas, la révélation de leur identité est passible de lourdes sanctions. Il existe aussi des dispositions dans le code pénal qui permettent aux policiers et gendarmes de mener des procédures protégés par l’anonymat.

Ce que nous vend aujourd’hui la majorité et le Gouvernement n’apporterait donc rien de plus qui ne puisse être aujourd’hui mis en œuvre pour la protection des forces de l’odre.

Cette proposition de loi prévoit une nouvelle infraction qui n’est pas nécessaire. Elle n’a aucune justification autre que politique. Elle est aussi dangereuse en ce qu’elle atteint la liberté d’expression et le contrôle des dépositaires de la violence légitime par les citoyens.

Le danger vient de la difficulté qui consiste à apprécier dans la diffusion d’images, l’atteinte à « l’intégrité physique et psychique ». Le ministre de l’intérieur répond que cela ne concerne pas les journalistes, mais cet article figure pourtant dans la loi de 1881 sur la presse. Il insiste sur le fait que la loi n’interdit pas l’enregistrement mais la diffusion, mais il fait alors semblant d’ignorer que la plupart des séquences diffusées sur les réseaux sociaux le sont en direct. Et il ne se cache pas, en dehors de l’hémicycle de dire qu’il veut « gagner la guerre des images ». C’est dans ce but que la même proposition de loi prévoit de libéraliser l’usage des images prises par la police sur les caméras piétons ou à l’aide de drones, sans aucune garantie sur le respect de la vie privée de ceux qui sont filmés, voire sur l’utilisation de système de reconnaissance faciale.

L’infraction de l’article 24 est donc si vague qu’elle permet toutes les interprétations et tous les débordements. On dira que le juge, dans la grande sagesse, construira une jurisprudence protectrice et conforme à nos principes de liberté. C’est oublier qu’avant le juge il y a l’arrestation, la garde à vue, les possibles perquisitions, la confiscation de matériel… Tout un arsenal d’humiliation qui conduira indirectement à un objectif non avoué ou mal anticipé : l’autocensure des journalistes, la menace vis-à-vis des manifestants, le choix de renforcer la force plutôt que l’éthique.

Voulant amadouer une majorité en partie ébranlée, le Gouvernement a défendu ce vendredi après-midi un amendement qui adopte la notion de volonté « manifeste » de porter atteinte à l’intégrité physique et psychique et rappelle en début d’article le droit d’informer. Ces deux modifications ne changent strictement rien aux risques que font courir ces dispositions sur nos libertés.

Il y a un déséquilibre entre les représentants des forces de l’ordre et la population. Les premiers et c’est normal, disposent du monopole de la violence légitime. Ils sont la République. Leur fonctions les obligent à un devoir d’exemplarité totale qu’aucune disposition ne devrait atteindre. L’action des forces de l’ordre, aussi difficile et risquée soient-elles doit s’exercer à la lumière du grand jour, dans la transparence et le contrôle de tous.

Le Gouvernement se trompe gravement. Pour apaiser le pays et garantir le respect par tous de l’action de nos policiers et gendarmes, mieux aurait valu travailler sur la lutte contre les actes condamnables ou non-éthiques de certains d’entre eux plutôt que d’empêcher par la loi qu’ils puissent être révélés, et ainsi jeter la suspicion sur tous. C’est une stratégie de gouvernement autoritaire. Il faut espérer que le Conseil Constitutionnel sanctionne cette tentative et rappelle au nouveau monde les valeurs et les principes que la France a mis des générations à construire.

 

 

Pin It on Pinterest